Après plusieurs années de démarches et d’attente en vue d’une adoption internationale, le téléphone sonne enfin pour Robert et Nadia. « Vous avez eu un match, un beau garçon nommé Hyun-Su de 22 mois qu’on décrit en pleine santé. Je dois cependant vous aviser que le dossier indique que la mère biologique a consommé de l’alcool pendant sa grossesse. C’est grâce à votre ouverture à avoir un enfant « à besoins spéciaux » que votre attente a été moins longue… »

Démarches pré adoption

Comme Robert et Nadia, au moment de l’évaluation psycho-sociale pour vous reconnaitre admissible à l’adoption, vous devrez réfléchir à votre ouverture et capacité d’accueillir ou non un enfant avec des handicaps et besoins particuliers de toutes sortes. Nous souhaitons s’attarder au sujet de « mère ayant consommé de l’alcool ». Si vous êtes ouvert à cette possibilité, vous devez savoir en quoi cela implique car l’enfant risque alors d’être atteint du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Au Québec, comme dans d’autres endroits dans le monde, ce trouble est méconnu tant de la population en générale que des professionnels de la santé, des services sociaux et de l’éducation. En effet, le Québec est la seule province canadienne à ne pas avoir de cliniques diagnostiques spécialisées à ce sujet. Pour vous, futurs parents, il est important de faire un choix éclairé et de bien comprendre les impacts possibles de cette consommation.

Qu’est-ce que le TSAF?

« Le Trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) est un terme parapluie qui décrit un continuum d’anomalies physiques et neurologiques, ou un spectre des effets qui peuvent survenir chez une personne exposée à l’alcool avant sa naissance. Le SAF ou syndrome d’alcoolisation fœtale, dénomination maintenant délaissée au profit de TSAF avec traits du visage spécifique, est la forme la plus sévère. Cette condition congénitale permanente de sévérité variable est observable dans tous les pays et toutes les communautés où il y a consommation d’alcool et constitue l’une des principales causes de handicaps intellectuels et développementaux[1] chez l’enfant. »

– Louise Loubier-Morincriminologue et juriste, cofondatrice de  l’organismeSafera

Quelques statistiques

« Bien que méconnues au Québec, les dernières recherches sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale démontrent qu’entre 2 % et 4 % de la population générale au Canada en est affecté[2]. Dans le système de protection de la jeunesse, nous parlons d’environ 17 % des enfants. »

– TSAF et trauma complexe : des interventions adaptées Maude Champagne[3]

« En 2005, au Manitoba, entre 11.3% à 17%[4] des enfants pris en charge par les services de protection avaient un TSAF. Selon une étude étatsunienne réalisée en 1997, 81% des enfants atteints de TSAF ne vivaient pas avec leur mère biologique[5]. De ce nombre, 21% avaient été confiés au père ou à la famille élargie, la plupart du temps les grands-parents. La majorité d’entre eux, 60%, ne vivaient toutefois plus dans leur famille biologique : 31% étaient placés en familles d’accueil, 20% adoptés et 8% avaient été confiés à d’autres milieux, comme des centres d’accueil. […] les diverses recherches ainsi que les données recueillies dans les autres provinces canadiennes nous permettent d’affirmer que les enfants exposés à l’alcool pendant la grossesse finissent pour un très grand nombre par être pris en charge au Québec comme ailleurs, par les services de la protection de la jeunesse en raison des difficultés majeures de leurs mères, qui les rendent incapables de s’en occuper adéquatement et d’assurer leur sécurité. »

Source : Mémoire déposé à la commission spéciale sur les droits des enfants et la Protection de la jeunesse, rédigé par Louise Loubier Morin, organisme Safera.

Certes, chaque pays a sa propre réalité qui peut influencer à la hausse ou à la baisse ces statistiques. « Environ 119 000 enfants naissent avec le SAF chaque année à travers le monde. »- Popova et all 2017 [6]

Vous avez déjà adopté ?

Il se peut que vous ayez déjà été informé que la mère biologique ait consommé enceinte. Il est également possible qu’elle ait consommé sans que cela ait été noté au dossier. On vous suggère d’être attentif au développement de votre enfant et si vous avez des inquiétudes, parlez-en à votre médecin. Si vos papiers indiquent que la mère bio a consommé, avisez-le. Il vous référera, s’il le juge pertinent, à d’autres spécialistes tels que pédiatre, pédopsychiatre ou neuropsychologue.

Les signes[7] suivants pourront vous indiquer la possibilité d’un TSAF :

  • Petit poids à la naissance, petite circonférence crânienne
  • Faibles reflexes de succion ou peu d’appétit
  • Trouble de sommeil
  • Faible tolérance aux bruits, à la lumière à certaines saveurs de nourriture ou texture de vêtement
  • Insécurité et besoin de prévisibilité
  • Retards de développements
  • Difficulté au niveau de la motricité fine et globale
  • Problèmes attentionnels, de mémoire, du langage, d’organisation et autres difficultés d’apprentissages qui nécessitent le soutien de l’orthopédagogue, de l’orthophoniste ou d’une psychologue.
  • Difficultés dans les habiletés sociales, la gestion des émotions et manque de maturité
  • Difficultés comportementales (opposition, colères excessives, impulsivité)
  • Besoin de supervision quasi-constante
  • Sentiment d’incompétence dans votre rôle parental ; les moyens mis en place ne fonctionnent pas.
  • Si on vous parle de TDAH, SGT, autisme, trouble de l’attachement ou autres troubles, n’écartez pas la possibilité du TSAF (souvent confondus et sous-diagnostiqué)
  • Dans 20% des cas des enfants atteints de TSAF, on peut observer des traits faciaux particuliers : petite ouverture des yeux, philtrum peu apparent ou absent et lèvre supérieure mince.

Si votre enfant présente certaines de ces caractéristiques, cela n’implique pas automatiquement qu’il a le TSAF. D’autres diagnostics peuvent s’apparenter au TSAF et diverses causes environnementales peuvent aussi expliquer ces symptômes. On vous conseille donc d’aller chercher un avis d’un professionnel de la santé au besoin.

Pourquoi un diagnostic ?

Certains parents craignent d’étiqueter leur enfant en allant chercher un diagnostic. Au contraire, c’est un cadeau à faire à votre enfant et à vous-même. Des interventions spécifiques existent pour répondre aux besoins des enfants atteints de TSAF. Des moyens pourront être mis en place à la maison, en CPE ou éventuellement au scolaire. Ceux-ci favoriseront un meilleur fonctionnement et lui permettront de maximiser son plein potentiel.

Chaque enfant est unique et être parent est le plus beau défi, mais le plus difficile d’une vie. Les enfants qui sont adoptés arrivent avec leurs bagages de vies. Cela laisse des traces et vous demandera d’être parents avec des options supplémentaires. Dans le cas d’un enfant adopté présentant des particularités neurologiques, tel que le TSAF, vous développerez des aptitudes parentales différentes, car votre enfant demandera plus d’encadrement et d’accompagnement au quotidien. Vous risquez, comme tous les parents, de vous sentir un jour ou l’autre démuni et de remettre en question vos capacités parentales. Le fait d’avoir un diagnostic et de mieux comprendre le handicap vous déculpabilisera. Vous serez mieux outillées pour favoriser un meilleur fonctionnement de votre enfant et vous pourrez échanger avec d’autres parents vivant les mêmes réalités et défis que vous.

Malgré les épreuves difficiles dont les familles adoptives d’un enfant atteint de TSAF sont confrontées, le bonheur est indescriptible. Ces enfants ont souvent une sensibilité affective immense, une générosité sans borne, des talents musicaux surprenants ainsi que des habiletés manuelles appréciables. Des familles ont d’ailleurs accepté de partager leur fierté :

« C’est une battante. À chaque jour. Elle a survécu à l’alcoolisation, à l’abandon, à de multiples opérations, à l’intimidation, à la maladie de Lyme chronique et pour cela, elle inspire autour d’elle un tas de personnes pourtant mieux nanties intellectuellement. Et quand elle sort son harmonica, toute la beauté de son âme jaillit au gré de ses notes. Un trésor dans ma vie. »

« Ce qui est le plus incroyable lorsque nous regardons le chemin parcouru de nos 3 filles depuis14 ans, c’est leur détermination et leur persévérance dans tout. Cela leur permettra de faire leur place à leur façon. Cette grande force intérieure, elles ont su la développer malgré les embuches de leur diagnostic de TSAF. En tant que parents, nous sommes très fières de nos 3 filles maintenant adolescentes. »

« Mon fils est le plus beau cadeau que la vie m’ait fait. Il a ses défis, mais il avance à son rythme. Sa persévérance et son grand cœur m’épatent. Je l’aime inconditionnellement tel qu’il est. »

« Mon fils se réveille de bonne humeur tous les matins. Il ouvre les yeux et sourit! C’est un petit garçon heureux qui dégage une joie de vivre contagieuse. Il vit le moment présent au maximum parce que sa mémoire à court terme fait que pour lui tout est nouveau… à chaque fois… Être sa maman ce n’est pas reposant mais je ne voudrais changer de place pour rien au monde! »

Ces quelques parents adoptifs, ayant acceptés de partager ces mots doux et rempli d’amour, sont réunis et en contact entre eux grâce à Safera.

Derrière cette organisation, se trouvent deux personnes de cœurs, des parents dévoués qui ont fondés Safera en 1998: Louise Loubier-Morin et Luc Roy. La nouvelle directrice, Annie Rivest et tout le conseil d’administration de Safera souhaitent les remercier pour le travail acharné des 22 dernières années afin sensibiliser, de faire connaître et reconnaître le TSAF au Québec. Bonne retraite !

 

Ressources :

N’hésitez pas à consulter au besoin, des services sont là avec des gens de cœur pour vous supporter :

  • alcoolisationfoetale.ca (organisme en soutien aux personnes atteintes du TSAF et à leur entourage)

Livre disponible sur commande : Enfants de l’alcool, Louise Loubier-Morin

  • Enfants d’Orient et d’Occident (organisme d’adoption hors Québec)
  • CISSS/CIUSS (Services gouvernementaux médicaux et psycho-sociaux)
  • RAIS (Ressource pour personnes adoptées ou parents adoptants)
  • OPHQ (Office des personnes handicapés du Québec)

Ne restez pas seul avec vos craintes, vos préoccupations, vos angoisses et surtout vos questionnements, car seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.

  

Isabelle Bouchard, Travailleuse sociale

Administratrice Safera

alcoolisationfoetale.ca

 

Présidente

Annie Rivest

Annie.rivest@safera.net

 

Responsable des communications médias

Chantal Brouillette

chantal.brouillette@safera.net

Par respect pour l’environnement, imprimer seulement si nécessaire.

Les vues exprimées ici ne reflètent pas nécessairement la position officielle de Safera

[1]Paediatr Child Health. 2002 Mar; 7(3): 181–195. PMCID: PMC2794812 ©2002 Société canadienne de pédiatrie.

[2](May et al., 2014; May et al., 2018; May et al., 2015) (Popova et al., 2018)(Thanh et al.,, 2014)

[3] Ottawa Center for Trauma and Attachment.

[4](Fuchs, Burnside, Marchenski, &Mudry, 2005)

[5]Holder H, Longabaugh R, Miller WR, Robonis AV. The cost effectiveness of treatment for alcoholism: A first approximation. Journal of Studies on Alcohol 1991;52(6):517-540.

[6] Bull World Health Organ 2017;95:320–321| doi: http://dx.doi.org/10.2471/BLT.17.030517 321

[7]https://www.orpha.net/consor/cgi-bin/Disease_Disability.php?lng=FR&data_id=487&Typ=Pat&diseaseType=Pat&from=rightMenu