Mathis et Nao, Thaïlande
On dit que Dieu n’est jamais en retard. Mots si faciles à formuler. Car lorsque l’attente se transforme en semaines, en mois puis en non pas une, ni deux, ni trois, ni quatre, ni cinq, ni six, ni sept, ni huit mais bien en neuf années, (soit 3,285 jours), on a parfois l’impression que Dieu n’est pas simplement en retard mais qu’il n’arrivera jamais!
D’aussi loin que je me rappelle, mes parents désiraient travailler outremer. Lorsque j’avais 6 ans, ils sont partis en Haïti pour un mois afin d’évaluer les possibilités qui s’offraient à eux. À leur retour, mon père a installé une immense carte du monde dans un couloir de notre maison et chaque jour, en la regardant il me parlait de la vie à l’étranger.
‘Nao, nous allons déménager en Haïti, et tu travailleras dans un orphelinat.’ Je me réjouissais à cette idée! Mon père savait fort bien à quel point je raffolais des enfants! Même à un jeune âge, j’adorais prendre soin de mes frères et de tout autre bambin qui croisait mon chemin.
De ces conversations un rêve est né dans mon cœur. Le soir, une fois la lumière éteinte, j’aimais m’inventer des histoires pour m’endormir. La plupart de mes histoires tournaient autour de bébés orphelins qu’on déposait au seuil de ma porte et qui devenaient miens.
Un peu moins de 3 ans plus tard, nous sommes déménagés. Pas en Haïti, le climat politique ne nous le permettant pas. J’allais grandir en Côte d’Ivoire, un magnifique pays de l’Afrique de l’Ouest. En mettant les pieds sur le continent africain j’espérais pouvoir travailler dans un orphelinat! Malheureusement, il n’y en avait pas dans la petite ville côtière où nous avons emménagé. Ce n’est qu’à 16 ans, lorsque je suis partie vivre dans un pensionnat à 500 km de chez moi que j’ai découvert que ce désir pourrait enfin se réaliser. Plusieurs samedis par mois je pouvais aller faire du bénévolat dans un orphelinat local. Mon cœur était ému de compassion devant tous ces petits êtres abandonnés. Accompagnée de d’autres filles de mon école, nous changions les couches de minuscules bébés. Ils étaient si fragiles. On entendait à peine leurs pleurs, comme s’ils n’espéraient plus que quelqu’un réponde à leurs appels. J’étais habituellement très à l’aise avec les nouveau-nés, mais ces petits êtres-là étaient si frêles que j’osais à peine les prendre de peur de ne les blesser. C’était pour la plupart des jumeaux ou triplets qui avaient échappé de peu à la mort car dans les villages qui les avaient vus naître, on croyait qu’un jumeau ou un triplet était une malédiction à éliminer! De peine et de misère leur familles avaient réussi à les sauver d’une mort certaine et les avaient amenés à l’orphelinat pour qu’ils aient une chance de vivre espérant les récupérer plus tard.
Les nounous étaient trop peu nombreuses pour pallier la tâche et malgré leur bon vouloir, les enfants manquaient de tout, et surtout d’être cajolés, rassurés et aimés.
Après les changements de couches, certaines filles organisaient quelques jeux avec les plus vieux. Pour ma part, je raffolais de cajoler les touts petits. Assise sur un banc, mes bras étaient chargés d’au moins deux enfants à la fois tandis que mes mains tenaient les petites quenottes d’un ou deux autres gamins. Je leur parlais doucement, les bisoutait aussi en espérant que ces petits moments feraient une différence dans leur enfance. J’aimais particulièrement des triplettes de 2 ans: Rose, Rosa, Rosanne. Les enfants étaient si tristes de nous voir partir. Ils s’accrochaient, pleuraient, c’était peinant de les laisser derrière…
À 18 ans, j’ai dû quitter la terre africaine qui m’avait vu grandir afin de poursuivre mes études au Canada. Mais ce rêve et espoir de mon enfance et adolescence est resté bien ancré au fond de mon cœur. Lorsque j’ai rencontré mon mari, il m’a fait part qu’il désirait avoir des enfants, mais qu’il nous serait impossible d’en avoir de façon naturelle. Il nous faudrait passer par in vitro ou par l’adoption. Je n’étais nullement intéressée à essayer in vitro, nous aurions nos bébés grâce à l’adoption. Ayant été en Afrique et ayant vu les besoins de façon tangible, j’étais certaine qu’adopter serait rapide et simple!
Très rapidement, j’ai réalisé que ce ne serait ni simple, ni rapide! J’ai passé une grande partie de mon temps libre des cinq années qui ont suivis à faire des recherches et des démarches. Il me fallait trouver une agence agréer, répondre aux critères exigés qui étaient nombreux et diversifiés selon le pays, évaluer la qualité des soins reçus pour les enfants pour diminuer le risque de séquelles permanentes pour ne nommer que cela.
Nous étions jeunes, en fait trop jeunes pour la plupart des pays. De plus, plusieurs pays fermaient leurs portes pour diverses raisons internes: corruption ou problèmes politiques. D’autres étaient simplement submergés de demandes de parents qui espéraient un enfant. Ceci créait des attentes interminables pour les parents et les enfants. Certains étaient tellement exigeants au niveau de la bureaucratie que les honoraires et coûts inhérents étaient hors d’atteinte pour notre modique portefeuille. L’entonnoir de nos options se rétrécissait. Après 5 ans à frapper à des portes et faire des recherches, la panique à commencer à prendre racine à l’intérieur de mon cœur. Je commençais sérieusement à douter d’être capable d’être un jour maman!
Je priais chaque jour, suppliant Dieu d’ouvrir une porte. Pour m’aider dans cette attente, j’ai décidé de créer un coffre. Chaque fois que les doutes m’assaillaient, je plongeais dans mon monde de future maman: scrapbooking pour la futur nursery, petites peluches assorties au couleur de la chambre, j’achetais quelques livres que je pourrais lui raconter, créait des listes de prénoms à choisir, lisait des livres sur l’adoption, sur la maternité. Je rêvais de ce bébé dont je pourrais prendre soin, aimer, bercer et cajoler. J’étais obsédée par l’idée de devenir maman. Je ne pouvais simplement pas imaginer ma vie sans enfants!
En mai 2004, il ne restait qu’une option: la Thaïlande. J’ai appelé l’agence d’adoption Enfants d’Orient et ait parlé à Mme K, la responsable de ce programme. Elle se montrait prudente:
‘Mme Charbonneau, il y a cinq pages d’un cahier rempli de noms avant vous. La Thaïlande ne prend pas de nouveaux dossiers en ce moment car ils sont embourbés avec les dossiers déjà en cours. Les délais d’attente ont bien dépassé les deux ans pour les dossiers en cours. Même si je mets votre nom sur la liste d’attente, le temps que tous les dossiers avant le vôtre ne soit réglé, il vous faudra attendre au moins dix ans avant de pouvoir avoir un bébé.’
‘Je comprends, mais svp, mettez notre nom sur la liste d’attente.’ C’était mon dernier espoir. Je me disais qu’il valait mieux un bébé dans dix ans que pas de bébé du tout!
J’étais à fleur de peau. À cette époque, nos amis et membres de nos familles se mariaient, et commençaient leurs familles. Je me réjouissais avec eux, mais par moment ça ne contribuait qu’à amplifier ma peine. Mes bras étaient vides et la maison était silencieuse. Sébas et moi étions prêts à être parents. Pourtant rien ne débloquait!
Mercredi, le 9 mars 2005. Vers l’heure du souper, le téléphone sonne. Sébastien n’était pas encore rentré du boulot.
C’était Mme K. J’étais surprise d’entendre sa voix mais n’aurais jamais pu me douter de ce qui allait suivre!
‘Madame Charbonneau, êtes-vous toujours intéressée à envoyer votre dossier en Thaïlande?’
‘OUI!’ J’étais folle de joie mais vraiment ahurie! Même dans mes meilleurs scénarios, nous en avions pour plusieurs années à attendre son appel et voilà que 10 mois plus tard elle appelait!
J’essayais de comprendre, ‘mais que s’est-il passé?’
‘Presque tous les couples avant vous sur la liste d’attente se sont désistés. Soient-ils ont eu un bébé par l’entremise d’un autre pays, sont tombés enceinte ou ne désire plus devenir parent!’
Notre dossier s’envolerait pour la Thaïlande. Nous aurions notre bébé. Enfin quelque chose de concret! Nous étions les neuvièmes sur la liste d’attente. Je n’arrivais toujours pas à y croire!
Une fois notre dossier en sol thaïlandais, l’attente n’était pas facile. Ça faisait bientôt 9 ans que nous espérions devenir parents… La veille de la fête des mères, rien ne pouvait me consoler. Cette grossesse invisible était difficile à porter! C’était tout simplement interminable!
Sébastien, mon mari, essayait du mieux qu’il pouvait de me réconforter en me disant que ça serait sûrement la dernière fête des mères sans bébé, mais ce n’était que des mots. On n’en savait rien.
Cette nuit-là, les larmes ont continué dans mon rêve. Un petit garçon thaï s’est approché de moi, a essuyé les larmes de mes joues et m’a dit: ‘Ne pleure pas. Ton fils arrivera bientôt!’ Puis il m’a salué les mains jointes en murmurant un mot que je n’avais jusque-là jamais entendu: Sawadeeka. Ce n’est qu’une fois en Thaïlande que j’ai entendu ce mot à nouveau et ai comprit ce qu’il signifiait bonjour ou au revoir.
Au réveil j’ai raconté mon rêve à Sébas. Nous avions choisi un prénom pour un fils et un pour une fille. J’en étais maintenant convaincue, nous attendions un petit Mathis et il arriverait bientôt.
Certaine que la venue de mon fils était imminente (même si les choses ne changeaient pas encore sur papier, nous étions les septièmes en attente et les bébés arrivaient au compte-goutte), je me suis mise à prier pour quelque chose de très spécifique: que ma grand-maman Pauline puisse voir mon fils avant de mourir. Son état de santé déclinait doucement. Elle et moi étions très proches et elle me disait souvent ne pas vouloir mourir avant d’avoir vu mon bébé. J’ai donc commencé à prier avec confiance que nous puissions recevoir l’appel tant attendu le 29 août, jour de son anniversaire!
Le 29 août, nous étions les huitièmes sur la liste d’attente. J’ai appelé ma grand-mère pour lui souhaiter joyeux anniversaire lui promettant de venir passer l’après-midi avec elle. Nous avons passé un long moment à bavarder. C’était une femme charmante, remplie de vie et qui adorait raconter…
De retour chez moi, je faisais de la photo pendant que mon mari parlait avec son frère au téléphone. Tout à coup, il me regarde et me dis:
‘Nao, va prendre le téléphone c’est l’agence!’
‘Sébas, c’est moche comme blague!’ Depuis des mois, Sébastien me répétait régulièrement:
‘Nao ce soir c’est l’APPEL!’
Du lundi au vendredi nous étions sur les nerfs attendant impatiemment l’APPEL qui ferait de nous des parents!
‘Sébas, très drôle ta blague, le téléphone n’a même pas sonné!’
‘Je suis sérieux, c’est la deuxième ligne, va prendre le téléphone!’
Son visage était sérieux, et si c’était vrai? Mon corps entier s’est mis à trembler, je me suis précipitée sur le téléphone le plus proche.
Mme K. était vraiment en ligne! Malgré ma surexcitation, elle est restée calme et posée:
‘Nous avons reçu une proposition pour vous aujourd’hui. Vous êtes les parents d’un magnifique petit garçon!’ J’écrivais toutes les informations qu’elle avait concernant notre petit Mathis, c’était tellement irréel.
On a décidé d’aller chez elle le soir même pour voir les photos du bébé, signer les papiers et embrayer la fin du processus. Il était hors de question qu’on attende une nuit de plus!
Avant de partir chez elle, il me fallait juste faire quelque chose:
‘Grand-maman, c’est Nao’
‘Allo ma chouette, ça va?’
‘Écoutez, j’ai vraiment une belle nouvelle! Je suis maman!’
‘Quoi, mais est-ce que c’est une blague?’
‘Mais non, je suis maman. On vient de recevoir l’appel! Je suis la maman d’un beau petit garçon!’
‘Quand est-ce que tu vas pouvoir l’avoir?’
Je ne savais pas encore. Ma grand-mère était tellement heureuse!
‘Merci de m’avoir tout de suite appelée dès que tu as eu la nouvelle! C’est mon plus beau cadeau d’anniversaire! J’ai tellement hâte de le voir!’
Sébastien et moi étions sur un nuage! Il me serait impossible de vous le décrire! Après neuf années d’attente, nous allions enfin être parents!
En lisant à tête reposée le dossier de notre bébé, puis lorsque nous sommes allés en Thaïlande pour être réunis avec lui pour la vie, nous avons pris conscience de deux choses. Tout d’abord, Mathis est né le 8 mars, soit la veille de l’appel inespéré de Mme K. En Thaïlande, en parlant avec la travailleuse sociale, nous avons réalisé que nous avions été jumelés avec Mathis peu de temps avant la fête des mères.
Pour combler mon cœur et celui de ma grand-maman, elle a pu le voir et jouer avec lui quelques mois avant de quitter ce monde. C’était notre souhait le plus cher à toutes les deux!
Le timing de Dieu était parfait. C’est ce bébé qu’il avait choisi pour nous. Ça n’aurait pas pu être plus rapide car notre Mathis n’était pas encore né. Malgré mon impatience, ma colère, mon incompréhension, ma peine, Dieu attendait. Il connaissait déjà le magnifique petit trésor qu’il avait prévu pour nous et à quel point ce bébé était fait pour nous et nous pour lui! Je ne pourrais imaginer la vie sans mon Mathis. Je sais aujourd’hui que même si on ne comprend pas durant l’attente, c’est que notre vision n’est que partielle. Dieu voit la situation dans son ensemble. Il n’est jamais en retard!
Naomi Charbonneau